Cadrer pour libérer
C’est en
délimitant le champ d’action de mon enfant que je le libère.
Souvent j’ai
ressenti le poids du «mauvais rôle» à l’égard des enfants que
j’ai eu à éduquer. Une intuition opiniâtre m’enjoint à chaque
fois de fermer les livres consacrés au sujet pour agir directement.
Je me retrouve donc régulièrement à brider l’élan spontané,
préparer le terrain de jeu, filtrer leurs écrans comme leur
assiette. Aurais-je un problème avec leur liberté, serais-je tenté
de reproduire les brimades que j’ai moi-même connues?
S’il est délicat
de clamer que les enfants dérangent pour le moins la vie de leurs
parents, nombre de parents conviendront que nos enfants apportent à
la fois le pire et le meilleur dans nos foyers, suscitent les
émotions les plus contrastées. Par eux la vie inonde nos existences
de sa joyeuse impétuosité et ses terribles responsabilités. Avec
eux, on en prend pour la vie comme on prend parti pour la vie. Il
nous appartient de nous demander quel lit contiendra et conduira
cette puissante rivière.
On prête à Nelson
Mandela l’idée que notrepeur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toute
limite. Voilà qui pose des mots sur ma propre expérience avec des
centaines d’enfants dans différents contextes. Les enfants
secouent la barque non pour mettre le groupe ou la famille en danger,
mais plutôt pour vérifier qu’ils sont en sécurité, que
l’étendue de leurs capacités ne les mettent pas en danger. Il
incombe donc à la barque, au contenant, au cadre que nous adultes organisons, de ne pas les
décevoir.
Les marques
d’épanouissement personnel comme de reconnaissance les plus
tangibles ont souvent été le fait de ceux que j’avais le plus
«cadrés». Par ce verbe, j’entends un faisceau d’action, j’en
choisirai ici simplement trois :
. communiquer
posément – poser des mots calmes, déterminés et compréhensibles
- pour rappeler la bienveillance fondamentale qui sous-tend la
posture de l’éducateur, en même temps que sa mission.
. associer l’enfant
à la responsabilité de l’harmonie du groupe humain – il en a sa
part, même modeste, il peut choisir d’y contribuer ou non. Les
règles seront légitimées par ce but commun.
. accepter de
déplaire par moments. Les enfants doivent pouvoir progressivement
constater par eux-même la légitimé et l’honnêteté de
l’éducateur à travers la justesse et la cohérence de son action,
voire de sa propre congruence, au service des situations qui
permettront leur épanouissement.
Il est manifeste que
cette attitude exige de l’éducateur, du parent, une certaine
connaissance de soi. Une lucidité sur sa vie intérieure, les
mouvements émotionnels qui le traversent, sa sensibilité
particulière à certaines situations, le sens qu’il recherche en
son existence, ses gesticulations égotiques ou encore sa reliance. Cette
responsabilité englobe la responsabilité de conduire chaque enfant
hors de soi – ex-ducere en latin, au-delà de ses instincts et
drames intérieurs. De les affronter à ses côtés plutôt que de
l’en blâmer. D’oser occuper pleinement la posture de l’adulte
qui guide, qui inspire, et dont l’enfant grandi en sécurité
pourra souverainement se distinguer. Cette posture d’éducateur
assumé implique souvent le courage de nager à contre-courant. Le
déferlement médiatique/publicitaire ambiant, fort de ses milliards,
ridiculise toute tentative isolée de construire de l’ordre positif
et du sens face à la tentation du plaisir facile et immédiat.
Un cadre aimant,
solide, bien visible et légitime aux yeux de l’enfant le rassure
fondamentalement. Il exile le flou anxiogène. Il sécurise enfin
l’enfant concernant ses besoins de base. Sorti de sa peur, le voilà
libre d’être pleinement lui-même. Il peut alors déployer les
ressources de son coeur sans retenue. Et sommes-nous différents ?
Questions
subsidiaires:
. Quels sont les
ressentis, les discours sous-jacents qui pourraient parfois freiner
ma capacité à me poser en adulte responsable face aux enfants?
. Dans une
perspective plus large, quel ordre positif plus grand que moi
pourrais-je imaginer servir, qui me mettrait dans la même posture
que mes enfants ? Dans quel «cadre» pourrais-je donc me libérer moi aussi
?
Yann Declair
Yann Declair
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